L'Armagnac et ses secrets
Comme je le disais dans mon précédent billet, début septembre j'étais en Gascogne le temps d'un weekend pour tenter de percer le mystère de l'Armagnac.
Habitant à Toulouse depuis presque 3 ans maintenant, vous allez me dire qu'il était temps !
Le fait est que ça faisait un moment que j'avais envie d'aller découvrir ce coin et ce produit, mais voilà, étant souvent en vadrouille je n'avais pas trouvé le temps. J'ai donc sauté sur l'occasion en recevant l'invitation du BNIA qui tombait un weekend libre de tout engagement.
En début d'année, j'avais déjà eu l'opportunité de découvrir un peu le monde du Cognac lors d'un Vinocamp. En allant au pays de l'Armagnac, je me disais que j'allais forcément trouver beaucoup de similitudes avec ce que j'avais vu à Cognac, d'autant plus qu'on a souvent tendance à comparer ces 2 eaux-de-vie françaises. Eh bien, la première chose que je retiendrai de ce week-end, c'est que cette comparaison n'a pas vraiment lieu d'être car Cognac et Armagnac sont en réalité très différents.
Mais rentrons dans le vif du sujet.
Un peu de géographie
La zone de production de l'Armagnac s'étend sur 3 départements : le Gers , qui concentre la majorité de la production, mais aussi les Landes et le Lot-et-Garonne.
Sur cette zone, l'AOC Armagnac se divise en 3 sous-appellations qui correspondent à 3 terroirs différents, tant au niveau des sols que du climat :
- -le Bas Armagnac, à l'ouest, dont les sols sont constitués de "sables fauves" et qui bénéficie d'un climat océanique et de la plus forte pluviométrie. C'est là qu'on va trouver les eaux-de-vie les plus fruitées et délicates
-l'Armagnac-Ténarèze, au centre, fait de boulbènes et de sols argilo-calcaires. Ce terroir va donner des eaux-de-vie plus puissantes et plus aptes au vieillissement
-le Haut Armagnac, au sud et à l'est, qui bénéficie d'un climat plus méditerranéen et de sols calcaires et argilo-calcaires
[NB : les "haut" et "bas" n'ont rien à voir avec la qualité du produit, mais avec l'altitude des 2 zones]
A l'origine de l'Armagnac, il y a du vin
L'Armagnac, tout comme le Cognac, est une eau-de-vie de vin, donc son histoire commence dans les vignes.
Le vignoble couvre 14 000 hectares, dont seulement 4 800 sont en AOC aujourd'hui.
Si l'Armagnac est divers grâce à ses terroirs, il l'est aussi grâce à ses cépages.
Pour obtenir le vin qui va être transformé en eau-de-vie, pas moins de 10 cépages, blancs uniquement, sont autorisés dans le cahier des charges de l'AOC.
L'occasion pour moi de découvrir des cépages dont j'ignorais l'existence comme le Meslier Saint-François ou le Baco.
Dans les faits, sur les 10 cépages possibles, 4 sortent du lot et font figure d'incontournables :
- -l'Ugni Blanc, largement majoritaire depuis la crise du phylloxéra, qu'on retrouve aussi à Cognac, et qui va donner des vins acides, avec une faible teneur en alcool, parfaits pour la distillation
-le Baco, un cépage hybride de la région, résistant et donnant des eaux-de-vie très aromatiques mais aussi plus corsées et "sauvages"
-la Folle Blanche, le cépage historique de l'Armagnac pre-phylloxéra, aujourd'hui pénalisé par sa fragilité et sa grande sensibilité à la pourriture, mais qui donne des eaux-de-vie florales, fines et très élégantes
-le Colombard, davantage utilisé pour les vins IGP Côtes de Gascogne, qui va apporter une note épicée en fin d'assemblage
Lors de nos balades dans les vignes, j'ai été marquée par la hauteur de ces dernières, ce qui pour le coup m'a rappelé mon séjour à Cognac. Mais j'ai vite eu l'explication : les vendanges en Armagnac sont en grande majorité mécanisées, donc il faut adapter les vignes au passage des machines à vendanger.
Alambic armagnacais et distillation continue
Une fois les raisins récoltés, ils sont vinifiés de façon naturelle, le décret de l'AOC n'autorisant ni sulfitage (ajout de souffre) ni enrichissement. Puis vient le moment de la distillation.
C'est là qu'intervient le fameux alambic armagnacais, dont vous trouverez quelques exemples ci-dessous, croisés lors du weekend.
Si vous avez lu mes billets sur le Cognac, vous ne manquerez pas de noter que ces alambics ne ressemblent pas à ceux que j'avais photographiés lors de mon séjour charentais. Et pour cause, ils ne fonctionnent pas de la même façon !
Si à Cognac la double distillation est reine, au pays de l'Armagnac on lui préfère généralement la simple distillation ou "simple chauffe" (NB : environ 5% de la production d'Armagnac se fait avec une double chauffe).
Je ne vais pas me lancer dans l'explication du fonctionnement de l'alambic armagnacais (pour cela je vous invite à lire les explications données sur le site du BNIA) mais ce que vous pouvez retenir c'est que la distillation avec ce type d'alambic, dit à distillation continue, permet d'obtenir des eaux-de-vie riches en arômes grâce aux nombreux échanges entre le vin et les vapeurs tout au long du processus de distillation.
Certains domaines (une quarantaine) possèdent leur propre alambic, d'autres font appel à des distillateurs ambulants (appelés aussi "bouilleurs") qui se déplacent de chai en chai.
Si la distillation dans une propriété ne dure généralement que quelques jours, sachez que les réglages de l'alambic changent d'une année sur l'autre et réclament presque une journée de tests au distillateur pour arriver au résultat voulu. Si vous voulez rendre visite à un producteur pendant cette période, évitez donc le premier jour car votre interlocuteur risque d'être très occupé !
Mais ceci ne doit pas vous empêcher d'aller faire un tour au pays de l'Armagnac l'automne venu car tous les producteurs rencontrés nous ont confirmé que la distillation était vraiment un moment important pour le vignoble et s'accompagnait souvent de festivités, que ce soit dans les domaines ou dans les villages.
Moi en tout cas, j'ai très envie de vivre cette période de distillation de l'intérieur donc il n'est pas improbable que je retourne en Gascogne sous peu.
Le vieillissement, où il est question d'anges et de paradis
La distillation terminée, on obtient une eau-de-vie incolore, dont le degré alcoolique est en général compris entre 52 et 60%.
Afin d'arrondir cette eau-de-vie et de lui amener de la complexité, on va ensuite la faire vieillir sous bois dans le chai, plus ou moins longtemps selon les goûts recherchés.
Ici point question de barriques ou de fûts, on parle de "pièces". Ces dernières ont une contenance de 400 litres et sont constituées de bois de chêne, provenant généralement des forêts de Gascogne ou du Limousin. [NB : On compte 2 tonnelleries sur la région de production de l'Armagnac].
Les eaux-de-vie commencent leur vieillissement dans des pièces neuves, desquelles elles vont extraire les composés tanniques et aromatiques du bois, et notamment le toasté/grillé, les arômes de vanille, de café, de caramel...Puis après quelques années, elles seront transvasées dans des pièces plus anciennes, où vont se développer des arômes de fruits confits et de fruits secs et où les arômes typiques du bois vont s'arrondir et se fondre avec les autres.
Tout au long du processus, le liquide contenu dans les pièces s'évapore et perd chaque année 3 à 4% de son volume. Comme pour le cognac, on appelle cette évaporation naturelle la "part des anges". L'alcool s'évaporant, l'eau-de-vie voit également son degré alcoolique diminuer d'environ 1/2 degré par an.
Et bien sûr, les années de vieillissement vont aussi faire évoluer la couleur des eaux-de-vie. Translucide à sa sortie de l'alambic, l'eau-de-vie va devenir tour à tour dorée, puis ambrée et enfin acajou pour les plus vieilles.
La dégustation verticale que nous avons faite au Château de Gensac avec Jacques Hauller nous a permis d'appréhender l'évolution de l'eau-de-vie au cours de son vieillissement, tant au niveau de ses arômes que de sa couleur.
L'armagnac peut rester jusqu'à 50 ans dans les pièces, donc le maître de chai doit savoir être patient pour mener une eau-de-vie à son apogée.
Quand on veut que l'armagnac cesse d'évoluer, on le place dans une bonbonne en verre, qu'on nomme dame-jeanne. Le verre va stopper le vieillissement et va empêcher l'alcool de descendre en-dessous des 40% minimum requis par la réglementation. Les plus vieilles eaux-de-vie ainsi conservées rejoignent ce qu'on nomme "le paradis".
C'est le maître de chai qui détermine la durée du vieillissement. Quand il juge ce dernier suffisant, il procède alors à l'assemblage des eaux-de-vie, d'âge ou d'origine différents. Comme pour le Cognac, l'âge mentionné sur la bouteille sera celui de l'eau-de-vie la plus jeune entrant dans l'assemblage.
Voici les correspondances :
VS ou 3 étoiles : l'eau-de-vie la plus jeune a passé 1 à 3 ans sous bois
VSOP : 4 à 9 ans sous bois
XO : plus de 6 ans sous bois
Hors d'âge : plus de 10 ans sous bois
15-25-30 ans : plus de 15-25-30 ans sous bois
Pour l'Armagnac, on trouve également beaucoup de millésimés. Ces derniers sont élaborés avec les eaux-de-vie de l'année de récolte mentionnée sur l'étiquette. Contrairement aux autres armagnacs qui doivent être vendus à un degré d'alcool de 40%, les millésimés peuvent atteindre 48% d'alcool.
Voilà vous savez tout ou presque sur la fabrication de l'Armagnac.
J'espère que cela vous a plu et que vous en voulez encore car dans le prochain billet, on partira à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui façonnent l'Armagnac et en font un produit unique et mystérieux.
En attendant, je me répète mais vous avez toujours jusqu'à la fin de la semaine pour jouer et tenter de gagner un coffret cadeau Châteaux & Hôtels Collection. Plus de détails, dans mon précédent billet !
Le jour où j'ai rencontré (Plan de) Dieu...
C'était début mars. Alors que j'étais en pleins préparatifs de mon séjour à Avignon pour le Vinocamp et le salon Découvertes en Vallée du Rhône, je vis mon facteur arriver avec un joli colis en provenance de la cité des Papes. Un colis qui se trouvait être un avant-goût idéal de mon séjour puisqu'il s'agissait de 2 vins issus d'une appellation appartenant à l'AOC Côtes du Rhône Villages et répondant au nom un peu mystique de "Plan de Dieu".
Pour la petite histoire, le 11 février avait lieu à Paris une soirée organisée par Louise Massaux en présence d'une vingtaine de vignerons de Plan de Dieu venus faire découvrir leurs crus à quelques fous de vins. Soirée à laquelle je n'avais malheureusement pas pu me rendre n'ayant pas de déplacements prévus dans la capitale à cette date. Qu'à cela ne tienne, quelques jours après la soirée Louise me proposa de m'envoyer quelques unes des bouteilles dégustées. D'où l'arrivée de mon colis ce matin de mars.
"Plan de Dieu", ok, ça en jette pas mal comme nom mais de quoi cause-t-on exactement ?
Plan de Dieu, c'est une appellation qui s'étend sur les communes de Camaret-sur-Aigues, Jonquières, Travaillan et Violès dans le département du Vaucluse. Les vignes y courent sur 1 500 ha à 110 m d'altitude et bénéficient d'un climat méditerranéen ensoleillé, allié à un Mistral asséchant.
L'appellation doit son nom à une légende selon laquelle la traversée de ce coin, carrément craignos à l'époque, méritait que l'on remette son âme à Dieu pour être sûr d'en sortir indemne.
L'AOC Côtes-du-Rhône Villages Plan de Dieu a été créée en 2005 et ne s'applique qu'aux rouges. Rouges composés majoritairement (au moins 50%) de Grenache Noir, complété par de la Syrah et du Mourvèdre à hauteur de 20% minimum.
Au final, cela donne des vins colorés, intenses et concentrés.
Un nom mystique, une légende avec des méchants dedans, des vins couleur de sang...encore un peu et on se croirait dans un nouvel opus de la saga Twilight !
Mais trèves de plaisanterie, passons aux choses sérieuses...
La dégustation
Dans mon fameux colis, se trouvaient 2 bouteilles.
Le soir-même je décide d'ouvrir la première car son nom "Exaltation corsée" m'intrigue.
Ce vin est produit par le Caveau des Vignerons Réunis de Sainte-Cécile-les-Vignes.
La robe est dense, rouge sombre aux reflets grenat. Au nez, le fruit s'affirme puis la garrigue et les épices s'invitent en coulisses. En bouche, j'ai été agréablement surprise par ce vin. Le fruit reste très présent, avec une pointe d'épices et de poivre pour apporter du dynamisme. Les tanins sont assez souples et ronds, malgré la relative jeunesse du vin (on est sur le millésime 2010). En conclusion, vraiment pas mal du tout!
La deuxième bouteille, du Domaine de l'Espigouette, a dû attendre mon retour d'Avignon. C'est au cours d'un repas du dimanche que j'ai décidé de l'ouvrir.
On est en nouvelle fois en présence d'un vin à la robe d'un rouge profond. Au nez, je grimace un peu car l'alcool me semble l'emporter sur les autres arômes. Et cette impression se confirme en bouche. L'alcool est à mon sens encore trop présent, et masque les arômes qui m'ont pourtant l'air intéressants. Les tanins sont relativement souples et la finale est poivrée. En résumé, ce vin présente de l'intérêt mais pâtit de la trop grande fougue de sa jeunesse. À redéguster plus tard donc ou dans un autre millésime pour se faire une meilleure idée.
Voici le lien vers le site des 2 domaines concernés :
Caveau Cécile des Vignes : http://www.ceciledesvignes.fr/
Domaine de l'Espigouette : http://www.espigouette.com
Si vous souhaitez en savoir plus sur l'appellation dans son ensemble, je vous invite à visiter la page dédiée sur le site des Vins du Rhône ICI ou encore la page Facebook de l'appellation ICI.
N'hésitez pas non plus à aller voir le blog de Louise Massaux pour découvrir l'ensemble des vignerons qui étaient présents à la soirée que j'évoquais au début de ce billet : http://quillesdefilles.com/?p=1279