Les producteurs d'Armagnac, entre tradition et modernité
Après ce petit interlude musical à l'occasion de la 59ème édition des Vendredis du Vin, voici comme promis, la suite de mes Escapades en Armagnac.
Si vous vous souvenez, nous avons débuté cette série de billets par un rapide aperçu de mon weekend début septembre au pays de D'Artagnan, avant de rentrer dans le vif du sujet avec les étapes de fabrication de la plus vieille eau-de-vie française. Nous avons ensuite enchaîné avec les accords à table pour faire honneur à la Fête de la Gastronomie 2013.
Voici à présent venu le moment d'évoquer ceux et celles qui façonnent ce spiritueux de caractère qu'est l'Armagnac.
L'Armagnac, un produit d'artisans ?
En l'espace de 2 jours, nous n'avons bien sûr pas fait la connaissance de tous les producteurs regroupés dans l'AOC Armagnac.
Mais nous avons eu la chance de croiser le chemin de personnalités très différentes. Des personnes extraverties, d'autres beaucoup plus réservées. Des "enfants du cru" et des "expatriés". Des petits producteurs et de plus grosses maisons.
Une bonne façon d'appréhender la diversité du paysage productif armagnacais mais aussi de comprendre ce qui le différencie en partie de son cousin charentais.
Car si à Cognac, les marques règnent en maîtres, en Armagnac, on a davantage l'impression d'avoir affaire à un produit d'artisans.
C'est peut-être cela qui, à mes yeux, donne à l'Armagnac ce petit supplément d'âme (même si cela ne m'empêche pas d'apprécier aussi le Cognac, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !).
Je vous disais donc qu'il y avait de la diversité chez les producteurs d'Armagnac rencontrés pendant le weekend. Et pourtant, au-delà des différences, il y a aussi des choses qui les rassemblent : la passion qui les anime bien sûr, mais aussi et surtout, un profond respect de la tradition, souvent allié à une certaine modernité.
Mais trêve de bavardages, passons aux 4 portraits croisés.
Jérôme Delord de la Maison Delord, à Lannepax
Jérôme Delord est le premier producteur que nous avons rencontré lors de notre périple en Gascogne. Et le moins que l'on puisse dire c'est que c'est un personnage haut en couleurs, débordant d'enthousiasme et de dynamisme !
Chez les Delord, l'Armagnac est une histoire de famille.
Une histoire qui remonte à 1893, date de création de la Maison par Prosper Delord, alors distillateur ambulant.
4 générations plus tard, c'est Jérôme qui est à la tête de la Maison Delord, avec son frère Sylvain.
Jérôme ayant un passé de commercial, il a tout naturellement pris en charge l'aspect commercialisation.
Son frère Sylvain, lui, s'occupe du travail à la vigne et au chai.
La tradition est omniprésente chez les Delord.
Des portraits de famille trônent ainsi dans la salle de distillation et le caveau de dégustation, les vieux alambics SIER sont chouchoutés, les étiquettes sont encore écrites à la main par Jacques, le père de Jérôme et Sylvain, et le "paradis" recèle de trésors du passé, comme cette très jolie bouteille en forme d'étoile.
Mais le tandem fraternel (une autre constante chez les Delord) n'oublie pas pour autant d'insuffler aussi un vent de modernité.
Ils travaillent par exemple actuellement sur des créations éphémères d'Armagnac et ils ont depuis peu ouvert une page Facebook.
Patrick Giacosa du Château Le Courréjot, à Condom
Nous avons rencontré Patrick Giacosa lors de la soirée au Chai Laure à Condom.
D'origine italienne, les parents de Patrick se sont installés dans le Gers en tant qu'agriculteurs.
Après avoir travaillé comme distillateur ambulant pendant plusieurs années, Patrick Giacosa s'est lancé dans la production et la commercialisation de son propre Armagnac, dont il assure bien sûr aussi la distillation.
Ce qui m'a marquée chez Patrick Giacosa c'est sa très grande humilité.
Non pas qu'il ne soit pas fier de la production du Château Le Courréjot, mais on sent qu'il n'aime pas se mettre en avant et "se vendre".
Et pourtant quel plaisir de l'écouter parler de ses armagnacs millésimés, des difficultés du travail du distillateur pour arriver à régler l'alambic afin qu'il donne la meilleure eau-de-vie possible, de la patience dont doit faire preuve le producteur d'Armagnac avant d'espérer pouvoir profiter du fruit de son travail...
Vous l'aurez compris, ce fut un de mes coups de cœur du weekend.
Jacques Hauller du Château de Gensac, à Condom
Nous avons ensuite fait la connaissance de Jacques Hauller, directeur du Château de Gensac.
Cet oenologue d'origine alsacienne s'occupe depuis 2011 de cette propriété de 300 hectares qui produit des Armagnacs, mais aussi des vins (dont les noms sont tous inspirés de l'univers de l'équitation, la passion du propriétaire suisse du domaine).
Si Jacques Hauller m'a semblé un peu froid au tout premier abord, il a suffi que l'on rentre dans le chai pour que cette impression s'estompe.
Car là encore, on a affaire à un passionné qui vous embarque tout de suite avec lui quand il commence à vous parler de l'objet de sa passion.
Ce que j'ai particulièrement apprécié c'est la capacité de Jacques Hauller à nous expliquer le côté technique de la production d'Armagnac de façon très accessible.
Sa dégustation sous forme de verticale a d'ailleurs été extrêmement instructive car elle nous a permis de percevoir concrètement l'évolution de l'eau-de-vie aux différentes étapes de son vieillissement.
Au Château de Gensac, une fois de plus tradition et modernité se mêlent.
Les vignes continuent d'être exclusivement vendangées à la main, le chai a gardé ses vieilles pierres et charpentes, mais à côté de cela les cuves de vinification sont ultra modernes et le domaine travaille actuellement sur un produit assez innovant : un Armagnac (et une Blanche) kasher.
Le Château de Gensac aussi a sa page Facebook.
Myriam Darzacq du Domaine de Paguy, à Betbezer d'Armagnac
Le Domaine de Paguy, dans les Landes, est le dernier domaine que nous avons visité.
C'est la mère de Myriam Darzacq qui a débuté pour nous la visite, avant que sa fille ne prenne la relève.
Ce fut passionnant d'avoir la vision du domaine par ces 2 générations.
Paulette et Albert, les parents de Myriam Darzacq, ont quitté en 1957 leurs métiers respectifs (couturière et comptable) pour s'installer sur l'exploitation.
Albert Darzacq s'est beaucoup battu pour l'Armagnac dans la région et notamment contre l'arrachage des vignes.
Aujourd'hui, leur fille Myriam, revenue sur le domaine en 2012, se forme au contact de son père et s'apprête à prendre la relève à la tête de ce domaine qui s'étend sur 77 hectares, dont 11 hectares de vignes, et produit du Floc de Gascogne (blanc et rosé) et de l'Armagnac (à partir de 8 ans d'âge), Armagnac dont une partie de la production est vendue au négoce.
Le Domaine de Paguy propose aussi des chambres d'hôtes et gîtes depuis les années 80 mais j'aurai l'occasion de vous en reparler dans mon dernier billet sur l'oenotourisme. En attendant, vous pouvez aller faire un tour sur leur page Facebook.
J'ai vraiment beaucoup aimé ce domaine, petit par la taille, mais une fois de plus tenu par des gens passionnés et profondément humains, pour lesquels le partage est une valeur essentielle.
J'en ai fini avec le portrait des 4 producteurs passionnés et passionnants que nous avons rencontrés lors du weekend.
J'ai volontairement mis à part le Domaine de Pellehaut, que nous avons également visité. Rien à voir avec la qualité des produits car les Armagnacs dégustés lors du déjeuner étaient très bons (notamment la Réserve de Gaston que j'ai beaucoup appréciée), mais lors de la visite, nous n'avons pas eu l'occasion de rencontrer les frères Béraut, propriétaires du domaine, donc mon ressenti est forcément différent. De plus, la visite de la propriété a davantage mis l'accent sur les vins, donc nous n'avons pas échangé sur les spécificités des Armagnacs de ce domaine.
Je ne vous ai pas non plus parlé du Château de Mons dans ce billet car je le réserve pour le dernier billet qui sera dédié à l'oenotourisme.
Quant aux autres Armagnacs découverts lors de la masterclass ou du déjeuner au Château de Bellevue, certains m'ont donné envie d'aller à la découverte de ces domaines, donc j'aurais sûrement l'occasion de vous en reparler.
Ainsi s'achève ce troisième volet de les Escapades en Armagnac.
Dans le dernier volet, nous aborderons la question de l'oenotourisme. Stay tuned ;-)!